L'affaire des fausses lettres de Vrain Lucas

Par LaPlume

C'est en cherchant un podcast à me mettre dans les oreilles sur le site de France Culture, que je suis tombée sur une émission relatant une vieille affaire de fausses lettres. D'abord intriguée, j'ai très vite trouvé le sujet passionnant. Il fallait absolument que je vous parle de l'affaire Vrain-Lucas !

« Vrain Lucas : Le parfait secrétaire des grands hommes » de Georges Girard
Un recueil de faux

Un faussaire autodidacte

Né en 1818 en Eure-et-Loir, Denis Vrain-Lucas est d'origine modeste. Son père est ouvrier agricole et sa mère servante. Il apprend à lire et à écrire tout en aidant aux travaux à la ferme. Malgré tout, il a soif de connaissance et passe son temps libre dans les bibliothèques.

Il fini par décrocher des postes de clerc d'avoué et de greffier en tant qu'autodidacte mais rêve d’être entouré de livres toute la journée. Il décide alors de partir à la conquête de la capitale, bien décidé à obtenir un poste à la Bibliothèque impériale, l’équivalent de notre BNF. Là, on lui explique qu'il est bien gentil mais qu'il faut le bac pour y entrer.

Il fini par intégrer un cabinet généalogique où il fait ses premières armes. En effet le cabinet fournissait de fausses preuves de noble lignage à qui pouvait y mettre le prix. Un métier qui laissait à Vrain-Lucas du temps pour traîner dans les bibliothèques et pour s'incruster dans les cours de la Sorbonne.

Michel Chasles et Denis Vrain-Lucas
Michel Chasles et Denis Vrain-Lucas

On peut tromper mille fois mille personnes...

En 1861 il rencontre Michel Chasles, grand mathématicien français féru d'autographes. Ça tombe bien, Vrain-Lucas a en sa possession des lettres qui pourraient l’intéresser mais précise qu'il n'y connaît rien. Il revient quelques temps plus tard avec toute sorte de lettres de Molière, Racine et d'autres personnages illustres.

Dans le livre « Vrain Lucas : Le parfait secrétaire des grands hommes » de Georges Girard que m'a gentiment envoyé les éditions Allia suite à la passionnante émission de France Culture, on peut trouver certaines de ces fausses lettres.

On y trouve de tout. Des lettres de Marrie Madeleine, Lazare le ressuscité, Cléopâtre, Jules César, Socrate, Alexandre le Grand ou encore Vercingétorix. Tout ce petit monde s’exprimant en vieux français et vantant les mérites de la Gaule. Certaines lettres sont du coup assez drôle. On se demande vraiment comment ça n'a pu choqué personne à l’époque...
Il faut dire que Vrain Lucas avait réponse à tout !

Lorsque Chasles lui demande d'où proviennent toutes ces lettres, Vrain Lucas lui raconte l'histoire d'un vieux monsieur désirant garder l’anonymat et contraint pour des raisons financières, de se séparer d'une énorme collection de documents qu'il avait sauvé du naufrage dans lequel leur propriétaire avait péri. Si ces lettres sont en français c'est qu'elles ont été traduites par Rabelais lui même !

Même si au début Mr Chasles semble septique, l’occasion est trop belle d'agrandir sa collection. D'autant que Vrain-Lucas lui promet l'exclusivité et le menace, à la moindre de ses réserves, de lui rendre son argent et d'aller voir ailleurs. Ça ressemble à l'idée que je me fais de la relation que pourrait avoir un drogué et son dealer.

Une des fausses lettres de Vrain Lucas
« Faux laissez-passer accordé par Vercingétorix à Pompée : « J'octroye le retour du jeune Trogues Pompens auprès de Jules César son maître et ordonne à tous qui ces lettres verront le laissez-passer librement et l'aider au besoin. » (fonds BnF). »

27000 fausses lettres

Pendant 8 ans Vrain Lucas va fournir Chasles, lui vendant pas moins de 27000 documents pour 150 000 francs (environ 600 000 €).
Le plus drôle c'est que Vrain Lucas n'a pas été arrêté pour cette raison. Son manège n'a été découvert que parce que Chasles, en manque, avait peur que son fournisseur ne vendent des lettres, qui tardaient trop à venir, à un autre. Il a fini par porter plainte contre lui pour le contraindre à lui donner ces lettres.

Il faut dire que Chasles lui demandait de plus en plus de lettres depuis qu'il lui avait apporté la correspondance qu'aurait entretenu Blaise Pascal et Isaac Newton alors âgé d'une dizaine d'année... Des lettres qui prouveraient que les lois de la gravitation universelle n'auraient pas été découvertes par l'anglais Newton mais pas le français Pascal. Cocorico !
Dès qu'une personne émettait des doutes sur certains points d'un document, comme de par hasard, Mr Chasles obtenait de Vrain Lucas, des lettres pouvant dissiper les doutes en question. Pratique, mais épuisant pour le faussaire.

En 1870 il est condamné à une peine de 2 ans de prison et une amende de 500 francs.
Lors de son procès, la foule se pressait pour voir celui qui avait su berner si longtemps le naïf scientifique. Et Vrain Lucas n’était pas peu fier, n’hésitant pas à apporter des compléments d'informations aux experts appelés à la barre. Il est même allait jusqu'à expliquer qu'il avait agit par philanthropie et patriotisme...

Après avoir purgé sa peine, il est de nouveau arrêté puis condamné deux autres fois pour vols de livres et abus de confiance. Il retourne ensuite en Eure-et-Loir ou il devient commerçant jusqu'à sa mort.

Une bonne partie des lettres ont été détruites par la justice mais certaines ont été conservées grâce à l'intervention de deux experts. On peut consulter certaines lettres de Vrain-Lucas sur le site de la BNF à cette adresse.